Les perspectives de débarquement approchaient

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Cependant, les instructions devenaient de plus en plus précises, les perspectives de débarquement approchaient et, avec elles, l'action allait commencer. Tout était prêt à fonctionner, les cadres de l'organisation étaient désignés et, à leur place, l'emplacement des maquis qui ne seraient constitués qu'en dernière minute, leur ravitaillement assuré. Il ne manquait qu'une chose, l'armement. Louis, consulté à ce sujet, affirmait qu'il ne fallait pas perdre confiance et que tout arriverait à temps.


Le 3 juin au soir, Gilbert rentrait possesseur des trois messages qui indiqueraient le débarquement. Deux jours plus tard, ils passèrent à la radio. «II est sévère mais juste. L'acide rougit le tournesol. Elle est toujours sur le dos» Cette heure tant attendue allait sonner; dans quelques heures, les Alliés sauteraient si ce n'était déjà fait, débarqueraient quelque part en France. Maurice, mis dans la confidence, et Gilbert dormirent assez mal cette nuit-là et préparèrent leurs plans en vue d'opérations éventuelles: celles-ci ne devaient pas tarder.

Le lendemain, 6 juin, jour du débarquement, l'ordre de faire sauter la voie en vue d'arrêter le trafic quelques heures, arrive à Souppes. Aussitôt, Esnault et Collin préparèrent les mines et, le soir, accompagnés d'Henri Legras et de Gilbert, ils se dirigèrent vers le lieu choisi entre Dordives et Souppes ; à la suite d'une rencontre désagréable, ils ne purent mettre leur projet à exécution et l'opération fut remise au lendemain. Elle fut l'oeuvre de Roger Collin et d'Henri Legras et réussit pleinement puisque le train arrêté vers minuit ne put repartir que le lendemain matin. Les jours suivants, les camarades de Nemours et de Bourron se chargèrent de ralentir, eux aussi sérieusement, le trafic.

Entre temps, l'équipe s'était réunie à la carrière, les armes avaient été nettoyées, montées et quelques-unes transportées en ville à proximité au cas où, pour une raison quelconque, leur usage serait devenu nécessaire.
Le 10 juin passe enfin un message: La soupe est chaude et l'on attend; la soupe est bonne?
Peut-être y-a-t-il une erreur de transmission. Qu'importe! Gilbert, Maurice, Tissier, Collin et Henri Legras se rendent à Paley chez Trembleau qui, en bordure d'un bois, avait creuser une tranchée longue d'une dizaine de mètres et profonde d'un mètre cinquante et qui servira à camoufler les containers.

A onze heures, tout le monde est sur le terrain qui, d'ailleurs, se trouve à proximité de la maison: il y a Trembleau, son fils, son neveu et l'équipe de Souppes. Ils attendent patiemment en bavardant et en mettant au point quelques détails d'organisation pour ce secteur. Soudain, un ronflement se fait entendre, on dresse l'oreille, le bruit grandit, chacun prend sa place mais l'espoir est déçu car l'avion survole le terrain à très haute altitude et disparaît dans le lointain. Les heures passent, il y a encore quelques alertes, puis il faut bien se rendre à l'évidence, il n'y aura rien cette nuit. Vers trois heures du matin, le terrain est abandonné tandis que Trembleau et ses hommes regagnent leurs lits, leurs camarades s'allongent sur la paille fraîche qu'il leur a préparée dans l'étable. A six heures du matin, tout le monde rentre à Souppes et reprend ses occupations habituelles.

Cependant la Gestapo ne reste pas inactive et les camarades du Loiret sont particulièrement visés, déjà plusieurs arrestations ont eu lieu et, pour éviter qu'elles s'aggravent, le secteur de Souppes paraissant moins menacé, il est décidé entre Pierre Charrier, Roger Mercier et Gilbert, qui sont en fait les trois responsables des deux départements, que la jeune fille radio de l'organisation, venue elle aussi d'Angleterre par la voie des airs, quittera le Loiret pour venir émettre quelque temps à Souppes.

Jean Tissier partira donc à Vitry-aux-Loges qui est un des gros centres de la Résistance dans le Loiret grâce à l'action énergique de son brave et héroïque curé, il ramènera MIe Claudie à Souppes où celle-ci logera chez Marga, d'où elle correspondra régulièrement avec Londres. Ceux qui ont connu cette jeune fille conserveront d'elle un impérissable souvenir, sa gentillesse et son magnifique cran en faisant le type parfait de la femme soldat.

Après un séjour d'une dizaine de jours à Souppes, elle repartira cette fois conduite par Petitpas vers d'autres lieux et ainsi elle changera fréquemment de domicile pour dépister les recherches. Malgré toutes ces précautions, elle devait un matin de juillet tomber dans les mains de la Gestapo à la suite de circonstances qu'il ne nous est pas permis de révéler ici. Qu'est-elle devenue? Et quel a été son martyr? Autant de questions sans réponses. Au cours de la période qu'elle passa à Souppes, les communications avec Londres ne chômeront pas; il faut préciser que cette radio appartenant au War Office était aux services propres des organisations de la Résistance tandis que Louis et André, eux, dépendaient du B.C.R.A. et n'avaient aucun contact avec les services interalliés, chargés de l'armement des futurs F.F.l.
Une autre jeune fille eut recours aux services des V.P.O. de Souppes. Parachutée en Sologne, dans un buisson d'épines, elle fut dirigée par le chef du W,O. sur Souppes qu'il connaissait bien pour avoir rendu visite à Gilbert. Ginette et son équipier devaient se rendre dans l'Oise; à leur arrivée à Souppes, Georges Moulin et André Bravo étaient en conversation avec Gilbert; la liaison se fit immédiatement et Georges n'hésita pas une seconde, il prit dans sa voiture ses deux passagers et les conduisit de leurs points de chutes dans l'Oise.

Quelques jours plus tard, Ginette revint à Souppes ; le matériel qui devait la suivre dans l'Oise n'était pas arrivé et, de plus, l'équipe qui, là-bas, devait les recevoir et les aider était introuvable. Elle demandait à être conduite en Sologne où elle retrouverait son chef et prendrait ses ordres.

Après une nuit passée chez Esnault, elle partit avec Jean Tissier pour la Sologne; elle ne devait pas aller jusque-là car, arrivée à Vitry-aux-Loges, elle apprit du brave curé que le maquis de Sologne était attaqué et que, déjà, il y avait de nombreux fusillés à la Ferté-Saint-Aubin. Esnault, qui est natif de cette région, enfourcha sa bicyclette et, accompagné de son frère et de Martin, partit aux renseignements en Sologne.

Tous ces volontaires avaient vingt ans et moins et allaient donner des preuves de leur dévouement.
Il était exact que les maquis avaient été attaqués en Sologne, cependant, grâce à la surveillance exercée et à la parfaite connaissance du terrain, les maquisards, après avoir fait subir de lourdes pertes aux boches, avaient pu se dégager et faire perdre leurs traces aux Allemands, à l'exception d'un groupe de Jeunes gens aux environs de la Ferté-Saint-Aubin qui furent massacrés sur place.
Cette nouvelle atrocité ajoutée à tant d'autres ne pouvait qu'ancrer au coeur du V.P.O. un plus vif désir d'en finir rapidement et de perfectionner l'organisation qui, malgré cette attaque, ne perdait aucun chef ni aucun contact.
Les jours passaient, la lutte en Normandie faisait rage, Gilbert et Esnault se rendaient dans leurs différents groupements prendre toutes les dispositions utiles en vue de parachutages qui ne devaient plus tarder.

Le 23 juin, parmi les messages personnels, l'un d'eux: «Ce garçon mange de trop», trois fois, fit battre les coeurs un peu plus vite. Cette nuit, trois avions parachuteront à Lorrez. Il fut convenu que l'on se rendrait en bicyclette, chacun de son côté; Trembleau, alerté, réunirait son groupe auquel il adjoindrait l'équipe de Voulx. Vers onze heures, arrivés à pied ou en vélo, une vingtaine d'hommes étaient réunis à la Croix Blanche, il y avait là Tembleau, Gallois, Pouvrau, Soutan, Gauthier, Bernard, etc. l'équipe de Souppes et Cartes qui, de passage, voulut, à juste titre, faire partie de la fête. Gilbert mit rapidement tout ce monde, pour la plupart néophyte, au courant de la manœuvre à accomplir. Suivant les instructions reçues de Claudie, la lune était absente, le balisage du terrain devait se faire par des feux allumés au sol et disposés en triangle isocèle; on prépare donc trois braseros de charbon de bois sur lequel un homme devait, au passage de l'avion, jeter quelques gouttes d'essence contenu dans un verre pour en activer la flamme et répéter l'opération à chaque passage de l'appareil. Vers minuit, tout le monde fut déployé sur le terrain, c'est-à-dire trois hommes à proximité des braseros.
D'autres, pour lesquels un prélèvement d'armes avait été fait sur la réserve de 1 Souppes, monteraient la garde, accompagnés de deux gendarmes à quelques centaines de mètres du terrain, le restant de l'équipe se dissimulerait en bordure du terrain qui, il faut le préciser, se trouvait à quelques centaines de mètres de la route allant de Lorrez à Moret. Après quelques instants d'attente, un ronflement se fait entendre, grossit rapidement et, bientôt, l'avion survole le terrain. Gilbert donna le signal convenu et les trois hommes jetèrent leur essence sur les braseros, une immense clarté jaillit, illuminant toute la campagne à la grande stupeur des assistants. Que s'était-il passé? Une chose très simple : l'un des préposés aux braseros avait simplement lancé dans ce dernier tout le contenu de son verre, d'où cette immense lueur qui risquait de ne pas passer inaperçue.
Rapidement, celle-ci s'éteignit mais déjà l'avion avait fait un tour, il fallait à nouveau redonner quelques flammes au brasero, pour deux de ceux-ci tout allait bien, il restait de l'essence dans les verres mais, pour le troisième, il n'y avait plus rien, surprise pour le pilote qui, venant de voir trois feux, n'en aperçoit plus que deux, aussi continua-t-il à tourner au-dessus du terrain sans trop descendre, jusqu'au moment où Esnault put se procurer une lampe électrique et prendre la place du troisième brasero, là encore les feux étaient dissemblables et intriguèrent l'appareil, chacun se demandait ce qui allait se passer car, déjà, un deuxième appareil tournait au-dessus du terrain, après avoir survolé le terrain dans tous les sens pendant de longues minutes. Le premier avion lâcha enfin me vingtaine de parachutes qui, normalement, auraient dû tomber sur le champ d'avoine fraîchement fauché à cette attention mais qui, à la suite de ces tribulations, s'écroulèrent au beau milieu d'un champ de blé à quelques centaines de mètres plus loin.
Au deuxième appareil qui suivait à deux ou trois minutes, l'opération se fit plus simplement: Gilbert ayant donné l'ordre de baliser avec des lampes électriques que l'on était rapidement allé chercher.
De nouveau, dix-neuf parachutes s'ouvrirent au firmament et, doucement, se posèrent sur le terrain, après quelques minutes d'attente, dans l'espoir d'un troisième appareil qui, d'ailleurs, ne vint pas.
Tout le monde se rassemble et la tâche la plus importante allait commencer: le transport de ces trente-neuf colis d'environ 250 kg, en ayant soin de ne pas trop abîmer le champ dans lequel ils étaient tombés.
La tâche fut longue et pénible mais tous s'y employèrent avec courage et, à la pointe lu jour, tout ce matériel, y compris les parachutes, étaient rassemblés dans une grange désaffectée.

Il est vrai qu'à la surprise de tous une femme de la Croix Blanche, éveillée par le bruit, était venue prêter main forte à tout ce monde.
Rapidement et suivant ses propres moyens, chacun regagna son domicile ou son travail, harassé par une nuit vraiment dure. Après une journée de repos, Gilbert et Maurice se rendirent à la Croix Blanche pour y faire, en compagnie de leurs amis, l'ouverture des containers, l'inventaire et la répartition du matériel qui devait servir à armer les groupes de Nonville, Villemaréchal, Voulx, Paley et Lorrez-le-Bocage. Dès leur arrivée, on se mit à la tâche, le montage des armes, leur classement, leur répartition dura tout l'après-midi et ce n'est qu'ensuite que les différentes voitures, tant autos qu 'hippomobiles purent prendre livraison du matériel et le transporter dans les lieux sûrs d'où il ne sortirait qu'à l'heure H.

Un des derniers colis ouverts contenaient ces petites boîtes en carton enveloppées de papier huilé que tous les Français connaissent maintenant pour les avoir vues aux mains de nos amis américains et qui renferment la ration journalière d'un soldat; elles furent distribuées aux participants qui rentrèrent tous Joyeux à leur domicile.

 

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