Il aime trop les femmes

<< Page 9 >>


Le jour même où se terminait ces opérations, un nouveau message, «Il aime trop les femmes», annonçait un parachutage sur le terrain de Villeniard, commune de Vaux-sur-Lunain. Gilbert, Henri Legras, Jean Tissier, Roger Collin se rendirent, ce soir-là, chez M. Claude Lhéritier. Régisseur au château de Villeniard, résistant des premiers jours, il avait déjà à cette époque, à son actif, l'hébergement et la protection de plusieurs parachutistes alliés; courageux et décidé, il assurait depuis longtemps le ravitaillement, qu'il continua d'ailleurs par la suite, de cent quatre vingt réfractaires dans la capitale. Trafiquant du marché noir, entendait-on dire, c'était normal puisque lui-même s'était laissé condamner, à ce titre, lors d'un procès-verbal qui lui fut adressé au cours d'un voyage à Paris avec sa voiture chargée de ravitaillement destiné à ses réfractaires.
Bon Français et bon patriote, disons-nous, qui, contrairement à ceux qui l'attaquent les pieds dans leurs pantoufles, n'a pas hésité à faire son devoir de soldat pendant qu'ils se cachaient.
Lhéritier, qui avait entendu le message, rassembla chez lui les membres de son équipe, parmi lesquels se trouvaient M. Verry de Villebéon et M. le curé de Lorrez-le-Bocage, tous ensemble, ils se dirigèrent vers le terrain de parachutage qui n'était d'ailleurs pas très éloigné du château. Chacun prit la place que Gilbert lui désigna et attendit. Vers une heure du matin, l'avion apparut, les opérations habituelles furent effectuées et quelques minutes plus tard, il se délestait de dix-neuf colis qui, à la stupéfaction de tous, se dirigèrent vers les bois proches où ils s'abattirent : pas un seul ne tomba sur le terrain. Une fausse manœuvre du pilote et le vent qui soufflait à quelques centaines de mètres du sol étaient cause de cet avatar; des recherches sous bois s'organisèrent immédiatement provoquant de nombreux incidents, les uns culbutaient dans les branches, les autres se débattaient au milieu des buissons de ronces ou d'épines qui, comme par hasard, étaient légion dans ce bois. Après une heure de recherches infructueuses, ou presque, devant les difficultés rencontrées et les résultats négatifs, Gilbert rassembla tout son monde et décida de suspendre présentement la récupération, la nuit étant de plus en plus opaque, et de la reprendre dès le lever du jour qui permettrait en grimpant dans les arbres dominant la forêt de repérer et de situer les parachutes que l'on ferait disparaître rapidement pour éviter le risque d'un repérage par avion. Quant au reste, il était improbable que les containers tombés au milieu du bois soient découverts jans cette propriété. Tous se rendirent dans les communs du château et s'allongèrent pour prendre quelque repos dans l'étable, en compagnie de quelques animaux qui s'y trouvaient. Ce qui permit une fois de plus à Jean Tissier de lancer des réflexions qui amusèrent tout le monde.
A la pointe du jour, les recherches reprirent activement, elles devaient être couronnées de succès: rapidement les parachutes furent repérés, décrochés des arbres non sans difficultés, roulés, puis rassemblés. Pour éviter d'éveiller l'attention, Gilbert et son équipe rentrèrent à Souppes ; tandis que Lhéritier et ses hommes transportaient, non sans égratignures, les containers dans un lieu sûr, où deux ou trois jours plus tard leur Inventaire devait être fait.
Quelques heures plus tard, un nouveau message passait à la radio: «Tu ressembles l un chinois», il annonçait un parachutage pour la nuit suivante pour l'équipe de Nemours. Piat, qui avait en main une organisation parfaite, fruit de son long et patient travail, se rendit à Souppes l'après-midi de ce beau dimanche, et mit sur pied, en accord avec Gilbert, l'opération de la nuit prochaine qui devait avoir lieu dans les bois de Saint-Paul appartenant à M. Dusapt de Château-Landon et que ce dernier avait mis à la disposition du groupement pour faire tout ce qu'il voudrait. Il fut décidé que Piat, qui avait déjà participé aux parachutages et qui en connaissait parfaitement le mécanisme, dirigerait seul l'opération, rendue particulièrement difficile par un incendie violent qui se déclara au cours de l'après-midi dans les bois de Saint-Paul et à proximité du terrain. 11 ne fut maîtrisé que quelques heures avant le parachutage, ce contretemps et la présence de gardiens sur les lieux de l'incendie durant la nuit risquaient de le compromettre.
Cependant, Piat et son équipe n'hésitèrent pas, ils se rendirent sur les lieux et réussirent parfaitement la réception de douze colis dont quelques-uns cependant s'accrochèrent dans les arbres avoisinants. La nuit entière fut consacrée à leur transport et à leur mise en place dans une sape conçue et construite depuis quelque temps par Piat et quelques réfractaires qui se trouvaient dans ce bois et qui constituaient l'ossature clandestine de son équipe.
Tous ceux qui virent cette sape en admirèrent l'emplacement, la construction impeccable et surtout sa dissimulation parfaite. Même averti qu'elle se trouvait dans un rayon de 50 mètres, il était impossible de la découvrir sans de longues et minutieuses recherches. Les containers y furent descendus, puis vidés de leur contenu qui fut inventorié, classé et rangé avec un soin méticuleux dans un ordre parfait, permettant de trouver instantanément l'article demandé: armes, munitions, matières explosives, etc.

Quelques jours plus tard, H. Legras, J. Tissier, R. Collin et Esnault se rendirent à Villeniard pour faire l'inventaire du précédent parachutage. Ils apprirent à leur arrivée que, la veille, les Allemands étaient venus patrouiller dans le secteur et procéder à plusieurs arrestations. De grandes précautions étaient nécessaires. L'inventaire des containers fut fait minutieusement, ceux qui devenaient inutiles furent précipités dans un puits voisin désaffecté. Après plusieurs heures de travail, tout le matériel était recensé et prêt à être transporté dans une cachette plus sûre, ce qui fut fait sans encombre par Lhéritier et un de ses hommes au cours de la nuit suivante. Rentrant à Souppes, nos quatre amis rapportaient deux colis contenant l'un des postes émetteurs de secours, dont l'un d'eux devait être rapidement dirigé vers des agents de renseignements de l'Eure-et-Loir, l'autre des postes récepteurs avec piles qui devaient permettre de se jouer des coupures de courant et de suivre ainsi les opérations militaires, les nouvelles et les instructions de Londres, y compris les messages personnels. L'un d'eux: «Gilbert est un grand homme» réunit, le 4 juillet, Gilbert, Maurice Trembleau père et fils sur le terrain de la Croix Blanche pour y recevoir un seul colis destiné à Louis et à André, d'ailleurs présents à ce parachutage qui réussit pleinement et qui fut sans histoire.
Avec ce message, la radio lançait aussi «Cinzano est excellent ajouté au Djinn» conventionnel, celui-ci annonçait le parachutage d'hommes dans la nuit du 7 juillet. Toutes dispositions furent immédiatement prises par Gilbert pour que ce parachutage important se passe au mieux.

 

Lire la suite ...